Leblog de monsetta "au gré des jours, au fil du temps" Le corps Publié par Monsetta Mardi, 20 Mai 2014 . Depuis plusieurs années j'assiste à un certain nombre de

Description CrĂ©dit Photos Viviane MĂ©nardC'est un jardin commencĂ© il y a 20 ans par Viviane et Raynald sur un hectare quarante avec 5 arbres. Peu Ă  peu arbres et arbustes se sont succĂ©dĂ©s pour crĂ©er des ambiances, des coins romantiques, le tout dans l'harmonie des couleurs et trouve une multitude de mise en scĂšne de la bambouseraie aux kiosques, recoins oĂč il fait bon s'arrĂȘter. C'est un jardin qui s'enrichit chaque annĂ©e au grĂ© des pouvez flĂąner et faire un halte dans les salons romantiques disposĂ©s sur l'ensemble du jardin. Le jardin, fait par des amateurs, trouve son nom "les Couleurs du Temps" dans la succession des empreintes laissĂ©es par les saisons Historique AprĂšs avoir habitĂ© en Normandie, Raynald et Viviane achĂštent en 1993 une premiĂšre parcelle de terrain au lieu-dit "La GuittiĂšre" Ă  constat est simple, c'est un champ de maĂŻs de 4500 m2 et le terrain ne compte que 6 plantations apparaissent, tout d'abord des haies puis des petits massifs...Une deuxiĂšme parcelle est achetĂ©e en 1997, celle-ci est de 5000 m2 et ne prĂ©sente aucune 1999, la tempĂȘte Martin, dĂ©racine de maniĂšre spectaculaire un des arbres prĂ©sents en 1993 lors de l'achat de la premiĂšre parcelle. Le cĂšdre nous quitte en ce 27 DĂ©cembre annĂ©es plus tard, en 2000, la derniĂšre partie de 4500 m2 est jardin repensĂ© au fil du temps, au grĂ© des humeurs et des envies. Informations Pratiques Ouverture Du 19 Avril 2014 au 31 AoĂ»t 2014Fermeture annuelle de Septembre Ă  uniquement les week-end et jours dimanche, jours fĂ©riĂ©s 14h-19h Tarifs Tarif adulte 3 enfant de 12 ans Ă  18 ans 1 enfant moins de 12 ans offert. Types de visite Visite libre, Rdv Groupes. MONTAUBANau grĂ© du temps au fil des mots par christian stierlĂ© EUR 15,00 Sofort-Kaufen 10d 20h , 14 jours RĂŒcknahmen, eBay-KĂ€uferschutz VerkĂ€ufer: bertrand24440  (2.176) 99.3% , Artikelstandort: beaumont du pĂ©rigord , Versand nach:
1 ça marche bien d’ĂȘtre seul » prĂ©vient Bruno, en invitant toutefois Robert Ă  partager son camion et sa vie errante. À Robert qui s’inquiĂšte du lieu de son domicile, il rĂ©pond que le camion est immatriculĂ© Ă  Munich, c’est lĂ  qu’il l’a achetĂ© deux ans plus tĂŽt. À dĂ©faut de se reconnaĂźtre un foyer dans cette Allemagne qu’il traverse, Bruno – rĂ©parateur ambulant de projecteurs de cinĂ©ma – adopte le lieu de provenance de son vĂ©hicule par un phĂ©nomĂšne significatif de transfert d’origine, du camion vers lui-mĂȘme. LancĂ© en voiture dans une course folle, Robert a dĂ©chirĂ© une photo avant de finir sa trajectoire dans le fleuve, puis regardĂ© le toit de la voiture s’évanouir dans l’eau, n’ayant sauvĂ© rien qu’une valise. Il en videra plus tard le contenu dans une poubelle. La photo Ă©tait celle d’une maison. 1 Psaume CXXVII, traduction de Louis Segond, 1910 2 - Les femmes ! Font chier ! » fit le grand forçat. » FAULKNER, 2000 245 2Il y va ici et lĂ  d’un dĂ©pouillement, celui d’une maison qui n’est plus ni Heimat – cette patrie des pĂšres coupables – ni mĂȘme Bleibe – cette demeure introuvable des femmes et des mĂšres –, qui n’est plus qu’un espace vide autant qu’un temps mort pour ces deux hommes rĂ©duits Ă  longer la frontiĂšre entre deux Allemagnes, entre deux foyers impossibles Ă  investir – imprimerie du pĂšre de l’un, maison de la mĂšre de l’autre –. Robert a sauvĂ© du naufrage un livre un traitĂ© de psychologie de l’enfant. Plus tard, on saura que sa profession est Ă  l’intersection de la pĂ©diatrie et de la linguistique. Le livre est une Ă©dition française. On verra Bruno, pour sa part, se plonger dans un livre en langue anglaise The Wild Palms de William Faulkner. Chacun transporte un livre dans une langue Ă©trangĂšre, nouveau refus d’appartenance, cette fois Ă  la langue maternelle. Le choix du roman de Faulkner est riche de rĂ©sonances. Tout d’abord son titre – primitivement, suivant le choix de l’auteur If I forget Thee, Jerusalem en rĂ©fĂ©rence Ă  la captivitĂ© des HĂ©breux Ă  Babylone – fait allusion au dĂ©racinement Comment chanterions-nous les cantiques de l’Eternel / Sur cette terre Ă©trangĂšre ? / Si je t’oublie, JĂ©rusalem »1. DĂ©racinement que les personnages wendersiens expĂ©rimentent au cƓur de la terre natale. Ensuite, par sa structure le roman se compose de deux intrigues en parallĂšle, apparemment indĂ©pendantes, – Wild Palms » les amours tragiques de deux amants et Old Man » les aventures d’un forçat lors d’une crue du Mississipi – structure sur le mode de la coupure Ă  laquelle la frontiĂšre renverra aussi. Enfin, les derniers mots du roman – du moins ceux de Wild Palms », ceux de Old Man » Ă©tant leur pendant ironique2 – s’accordent particuliĂšrement aux personnages wendersiens Entre le chagrin et le nĂ©ant, je choisis le chagrin. » Faulkner, 2000 234 Robert, le kamikaze », en symĂ©trique de Bruno, est celui qui choisit le nĂ©ant, ou plutĂŽt voudrait choisir le nĂ©ant, sa course suicidaire se terminant sans grands dommages dans les eaux de l’Elbe. Le chagrin, en revanche, c’est le prix Ă  payer de cette facultĂ© humaine qui va les travailler la mĂ©moire Ă©ternelle et inĂ©vitable, aussi longtemps qu’il y aurait une chair pour la titiller. » Faulkner, 2000 233 Wild Palms peut passer inaperçu dans l’image, ce n’est que le dĂ©tail de la couverture d’un livre de poche qui n’accĂšde mĂȘme jamais au gros plan. Mais Wenders, nous le verrons, est particuliĂšrement soucieux de la prĂ©sence de ce genre de dĂ©tails, peut-ĂȘtre davantage pour lui-mĂȘme – comme indices de la fabrication du film, symptĂŽmes de sa sĂ©dimentation – que pour le spectateur. DĂ©racinement, division, incapacitĂ© Ă  vivre en couple sans que mort s’ensuive, ruminations de la mĂ©moire Wild Palms fertilise singuliĂšrement la trajectoire des hĂ©ros, ou plutĂŽt, comme a pu l’écrire BarthĂ©lĂ©my Amengual, des anti-hĂ©ros Les premiers anti-hĂ©ros de Wenders – ils ont, entre 1970 et 1975 l’ñge de l’auteur, la trentaine – sont les enfants nĂ©vrosĂ©s d’une histoire spĂ©cifique, les hĂ©ritiers d’une Allemagne tombĂ©e en morceaux. » Amengual, 1997 288 3Au gĂ©nĂ©rique, Wenders nous dĂ©crit les conditions de fabrication du film en noir et blanc, au format 1/1,66 et son direct, tournĂ© en onze semaines du 1er juillet au 31 octobre 1975, entre LĂŒneburg et Hof, le long de la frontiĂšre de la RDA. Wenders pour tout scĂ©nario n’avait qu’une carte routiĂšre, le projet du film tenant dans ce pĂ©riple en lisiĂšre d’une frontiĂšre au cƓur mĂȘme du pays natal. La frontiĂšre n’est pas ici simple dĂ©limitation gĂ©ographique, mais cicatrice d’un traumatisme historique qui, constamment, fait retour. Dans ce no man’s land intĂ©rieur – au sens gĂ©ographique comme psychologique –, les seuls repĂšres de cette odyssĂ©e singuliĂšre seront ces salles de cinĂ©ma, vides et menacĂ©es de disparition. Si le théùtre d’ombre est ranimĂ©, momentanĂ©ment, Ă  l’attention d’un public d’enfants impatients d’une projection Ă  laquelle ils n’assisteront pas, faute de matĂ©riel en Ă©tat, l’ultime Ă©tape du voyage sera un Ă©cran blanc, ce Weisse Wand, espace vide en attente dont l’enseigne WW signature cryptĂ©e de l’auteur, brille de cette aspiration d’une identitĂ© qui viendrait s’y inscrire. 4Robert a lancĂ© sa voiture dans le fleuve, aprĂšs avoir dĂ©chirĂ© la photo de sa maison, et Bruno devra traverser un autre fleuve pour s’approcher de celle de son enfance. Les seuils sont ici symboliques fleuve qui sĂ©pare de la maison de la mĂšre, passage Ă  niveau qu’il faut franchir pour accĂ©der Ă  l’imprimerie du pĂšre Ă  dĂ©faut d’ĂȘtre matĂ©rialisĂ©s par une porte. Tenir dans ses bras une porte » Ponge, 1988 44 ironise le poĂšte, faisant de ce supposĂ© banal objet de transition un inattendu objet de dĂ©sir, et c’est bien d’un dĂ©sir inassouvi que la porte se charge ici. Quelque chose du cinĂ©ma se joue dans l’acte de franchir une porte point de raccord d’un intĂ©rieur et d’un extĂ©rieur, le passage de porte est le lieu de toutes les manipulations, de toutes les libertĂ©s. Ici, tenir dans ses bras une porte – et le raccord qui va avec – ne va pas de soi. Le traditionnel raccord sur l’ouverture de porte est curieusement Ă©vitĂ© ou dĂ©samorcĂ©. Par le contre-jour radical lorsque la porte la plus manifestement tenue dans les bras s’ouvre sur Robert, porte d’un cinĂ©ma vide dans l’encadrement de laquelle la silhouette se dĂ©coupe, avant d’ĂȘtre happĂ©e par l’obscuritĂ©. Par le geste violent lorsque Bruno rentre dans la maison de son enfance, en en franchissant le seuil par la grĂące du montage qui le pousse du dehors au-dedans. L’aventure qui laissait augurer de l’investissement nostalgique du lieu, se solde par un franchissement dans l’autre sens celui d’une masse, jetĂ©e au travers de la vitre. Ailleurs, c’est le plan d’extĂ©rieur qui manque, comme dans le cas de l’imprimerie du pĂšre de Robert la camĂ©ra ne franchit pas le seuil en articulant par le montage dehors et dedans, mais attend, Ă  l’intĂ©rieur, l’arrivĂ©e de Robert puis celle de Bruno. Si des portes s’ouvrent, les lieux qu’elles offrent Ă  la conquĂȘte des personnages wendersiens ne peuvent ĂȘtre investis et restent de fait, des non-lieux maison de l’enfance, imprimerie du pĂšre, cinĂ©mas Ă  la dĂ©rive
 La porte arriĂšre du camion se ferme de l’intĂ©rieur, permettant au spectateur d’entrevoir avant que l’obscuritĂ© ne se fasse, le mot HermĂšs » se reconstituer par la rĂ©union des deux battants par inversion, le nom du messager s’inscrit Ă  l’intĂ©rieur du camion, comme un secret bien gardĂ©. 5Le seuil peine dĂ©sormais Ă  dĂ©limiter ces intĂ©rieurs dĂ©sertĂ©s de ces extĂ©rieurs indiffĂ©renciĂ©s bourgs dont quelques enfants sont les derniers occupants, villes Ă  l’abandon qui semblent surgies de quelque catastrophe. Usines dĂ©saffectĂ©es oĂč traĂźnent les fantĂŽmes tel cet homme dĂ©semparĂ© dont la femme vient de jeter sa voiture contre un arbre et qui lance des dĂ©bris de poussiĂšre dans un silo rouillĂ©, prĂ©sence spectrale au cƓur de la nuit. Vallons sans caractĂšres, ni vraiment ruraux – mĂȘme si on y croise quelques moutons – ni vraiment urbains, ou paysages pĂąles oĂč le corps ne laisse plus que la trace organique de son passage, comme le signe du refus de toute appartenance, comme si c’était ce qu’il restait Ă  faire sur cette terre Ă©trangĂšre. Nous sommes lĂ  face Ă  ce que Gilles Deleuze dans CinĂ©ma 1 l’Image-mouvement appelle des espaces quelconques. Leur indiffĂ©renciation et leur vacuitĂ© en font l’expression privilĂ©giĂ©e des affects. Le paysage renvoie alors Ă  l’intĂ©rioritĂ© des personnages et le voyage Ă  la conscience. Dans Emotion Pictures, Wenders reprend Ă  son compte les prĂ©conisations de Ronald D. Laing Nous sommes socialement conditionnĂ©s Ă  considĂ©rer comme normale et saine une totale immersion dans l’espace et le temps extĂ©rieurs. 
 Or, il me semble beaucoup plus sensĂ©, beaucoup plus nĂ©cessaire, beaucoup plus urgent d’entreprendre l’exploration de l’espace et du temps intĂ©rieurs de la conscience. Peut-ĂȘtre est-ce lĂ  l’une des rares choses qui aient encore un sens dans notre contexte historique. » Laing, 1988 30 Il y a alors l’idĂ©e d’un franchissement au sein mĂȘme de la matiĂšre cinĂ©matographique, les films Ă©tant, suivant Wenders rĂ©alisĂ©s de l’intĂ©rieur vers l’extĂ©rieur ». Wenders, 1990 91 3 HOMERE OdyssĂ©e chant XVII 11-54 6Ce que cette intĂ©rioritĂ© et cette conscience manifestent, c’est le refus d’appartenance. Peter Handke, Ă  propos de Faux Mouvement 1975 Ă©nonce littĂ©ralement cette incapacitĂ©, dorĂ©navant, Ă  pĂ©nĂ©trer des maisons qui, apparemment, n’ont rien de changĂ© Les rues Ă©troites d’une ville, peut-ĂȘtre encore extĂ©rieurement semblable Ă  celles de Goethe, avec des maisons Ă  colombages, mais lĂ , par exemple, on ne peut plus entrer dedans pour de bon. » Wenders, 1990 22 Dans Au Fil du temps, personne n’arrive plus Ă  entrer dedans pour de bon », les personnages – et pas seulement Bruno et Robert – prĂ©fĂšrent habiter ailleurs que dans des lieux d’habitation. Significativement, il n’y a plus de maison oĂč dormir, non par manque mais par aversion, semble-t-il. Bruno et Robert dorment dans le camion, bien sĂ»r, mais Ă©vitent de dormir dans la maison de l’enfance et prĂ©fĂšrent un tas de sable ; Bruno et la jeune caissiĂšre partagent une nuit dans l’arriĂšre-salle d’un cinĂ©ma ; le pĂšre de Robert dort dans son imprimerie
 Il semble qu’il n’y ait plus de lieux en Allemagne oĂč dormir, auxquels appartenir, plus de lieux Ă  investir, tel un hĂ©ros de l’OdyssĂ©e puis il entra en franchissant le seuil de pierre »3. 7Si le seuil n’est plus, cinĂ©matographiquement, le lieu d’un passage, c’est que pour ces jeunes Allemands, l’appartenance Ă  la communautĂ© est par trop problĂ©matique L’Allemagne. J’ai l’impression, pour parler dans le vague, que c’est d’abord quelque chose qui n’existe pas ou qui n’existe pas encore. Donc un vide. » Wenders, 1992 217 Dans Philosophie un rĂȘve de flambeur, Jean-Toussaint Desanti se souvient de la maison de sa tante, en Corse, dont la porte restait ouverte quelque fĂ»t le temps, accueillant l’étranger Ă  la condition qu’il laisse dehors ce qui le liait Ă  l’extĂ©rieur haches, pioches, fusils
, Ă  condition qu’il ne pose pas le pied sur le seuil – le mutale de la langue Corse –, Ă  condition enfin, qu’il laisse un sou en Ă©change de la soupe. Tant et si bien que le jeune Jean-Toussaint en venait Ă  penser que sa tante tenait une auberge. En fait, il n’était pas question d’auberge et le sou n’était pas le prix de la soupe. L’un et l’autre dĂ©signaient l’échange, offrande contre offrande autant de signes de l’alliance entre l’extĂ©rieur et l’intĂ©rieur. » Desanti, 1999 41 DĂ©pouillĂ©, le hĂ©ros wendersien n’a plus rien Ă  Ă©changer mĂȘme si Bruno laisse sa veste sur la balustrade avant de pĂ©nĂ©trer dans la maison de l’enfance, comme il l’enlĂšve systĂ©matiquement dans ce qu’il considĂšre son chez-soi le camion oĂč il reste, nu, sous sa salopette. 8En refus d’appartenance, il ne veut rien Ă©changer. Ne pas se soumettre Ă  la loi du seuil est alors le symptĂŽme d’une impossible communautĂ©. Bruno reste sur le pas de la porte – celui du garage de Raul, l’ami d’enfance de Robert – de la mĂȘme façon que Robert reste sur le pas de la porte de la maison de l’enfance de Bruno il l’écoute de l’autre cĂŽtĂ© du mur et s’éloigne. Le lieu de l’enfance est le lieu de l’expĂ©rience individuelle, unique et non partageable. AprĂšs avoir signifiĂ© son refus d’investir la maison de l’enfance en en brisant la fenĂȘtre, le montage fait l’ellipse du franchissement inverse, comme si la maison, espace devenu inhabitable et c’est la terre entiĂšre qui deviendra inhabitable dans le film qu’on tente de tourner dans L’Etat des choses – 1982 l’avait jetĂ© dehors. On retrouve Bruno Ă  l’extĂ©rieur, sur l’escalier Ă  demi ruinĂ©, Robert lui demandant s’ils peuvent dormir Ă  l’intĂ©rieur et devant son refus, le laisse seul avec sa peine Pour ceux qui sont trop tourmentĂ©s d’eux-mĂȘmes, le pays natal est celui qui les nie. » Camus, 1939 81 Rester sur le pas, rester sur le refus du franchissement, ou alors casser les carreaux de la maison de l’enfance et refuser d’y dormir, ne pas franchir le pas, c’est ne pas risquer d’appartenir Ă  cette terre allemande, n’ayant d’autre choix, alors, que de vivre dans un camion. LĂ  s’exprime le foyer idĂ©al pour Wenders Mobile home. Une combinaison contradictoire de mots oĂč pourtant se dĂ©finit une libertĂ© peut-ĂȘtre mince, mais que je tiens en haute estime. Mobile » a une note de fiertĂ© et veut dire le contraire de se trouver bloquĂ© », faire du sur-place », rester en plan ». Home » veut dire Ă  la maison », chez soi ». Un chez-soi ne devrait justement pas ĂȘtre mobile, il se distingue prĂ©cisĂ©ment par le fait qu’il est fermement installĂ© quelque part. Aussi, non seulement l’Allemand ignore-t-il l’expression contradictoire Wohnwagen » [caravane] et Fertighaus » [maison prĂ©fabriquĂ©e] veulent dire autre chose, mais aussi la chose elle-mĂȘme une maison qu’on installe quelque part, et ailleurs l’annĂ©e suivante. Sur les autoroutes amĂ©ricaines, des maisons viennent sans cesse Ă  votre rencontre.» Wenders, 1988 191 9Il y a lĂ  une nostalgie, non pas de la patrie, mais d’un Ă©tat antĂ©rieur de l’humanitĂ© qui la protĂ©geait de l’attachement Ă  la patrie celui du nomadisme, d’un Ăąge d’or que Wenders Ă©prouve aux Etats-Unis Le pays est trop vaste pour qu’on puisse dĂ©cider oĂč rester. Alors on prĂ©fĂšre admettre qu’on ne sait pas oĂč on est chez soi. Il y a lĂ  une libertĂ©. » Wenders, 1988 193 10C’est de cet attachement Ă  la terre que les personnages wendersiens se dĂ©font en optant pour le nomadisme, cet Ă©tat antĂ©rieur Ă  l’idĂ©e de patrie. LĂ  aussi, la distinction avec Ulysse, si apte Ă  franchir les seuils de pierre » est manifeste, dans cette histoire de l’humanitĂ© qu’Adorno et Horkheimer retissent Ă  partir de son OdyssĂ©e Il y a lĂ  une rĂ©miniscence de l'histoire oĂč la vie sĂ©dentaire, qui condi­tionne l'existence de toute patrie, succĂ©da au nomadisme. Si l'ordre stable de la propriĂ©tĂ© qu'assure la vie sĂ©dentaire fonde l'aliĂ©nation des hommes d'oĂč naĂźt toute nostalgie et tout regret de la perte de l'Ă©tat originel, c'est pourtant la sĂ©den­taritĂ© et la stabilitĂ© de la propriĂ©tĂ© – Ă  l'origine du concept de patrie – qui fonde toute nostalgie, tout mal du pays. » Adorno, Horkheimer, 1974 90 11Sur le pare-brise du camion, par transparence, intĂ©rieur et extĂ©rieur font alliance, mais par image reflet et projection. Le camion est une demeure sans seuil, sans jonction d’un intĂ©rieur et d’un extĂ©rieur l’extĂ©rieur file au grĂ© des dĂ©placements, et traverse en permanence l’intĂ©rieur. LĂ , le dedans et le dehors s’indistinguent. Le mutale Ă©tait un non-lieu, un lieu zĂ©ro en quelque sorte. Qui s’y trouve, nĂ©tant nulle part, court le risque d’y demeurer Ă  jamais et d’y disparaĂźtre. » Desanti, 1999 41 Ă©crit encore Desanti. Au fil du temps serait l’histoire de cette condamnation n’ayant pas respectĂ© la loi du seuil, Bruno et Robert s’y engloutissent et par lĂ , sont vouĂ©s Ă  ne plus accĂ©der Ă  aucune appartenance et Ă  demeurer dans la solitude. Au dĂ©but d’Au Fil du temps, RĂŒdiger Vogler Bruno reprend son personnage lĂ  oĂč il l’avait laissĂ© Ă  la fin du film prĂ©cĂ©dent Faux Mouvement mon seul dĂ©sir Ă©tait d’ĂȘtre seul, pour qu’aucun importun ne vienne troubler mon apathie 
 j’avais l’impression d’avoir manquĂ© quelque chose, et de continuer Ă  manquer quelque chose Ă  chaque mouvement. » Ce qu’il manque, c’est la prĂ©sence des autres, Peter Buchka a remarquĂ© combien les personnages de Wenders sont toujours entre deux, dans l’oscillation constante entre deux Ă©tats intenables les personnages de Wenders doivent se frayer un passage entre deux pĂŽles comme les Argonautes entre Charybde et Scylla d’un cĂŽtĂ© la solitude 
 et d’autre part, l’impossibilitĂ© de vivre de façon durable avec d’autres hommes – et avant tout avec des femmes –. Les personnages de Wenders ne supportent ni l’un ni l’autre, ni la solitude ni la vie avec d’autres. » Buchka, 1986 119 La prĂ©sence de l’autre manque, raison pour laquelle Bruno accepte de partager la route avec Robert, ou une nuit avec la jeune caissiĂšre de cinĂ©ma. Et Ă  la fois, l’autre est de trop au petit matin, Robert laisse Bruno endormi dans le poste frontiĂšre amĂ©ricain abandonnĂ© et Bruno laisse la jeune femme dans l’arriĂšre-salle du cinĂ©ma. Wenders se reprĂ©sente l’Allemagne comme une terre inhabitable et sans lendemain aucun couple n’y survit et encore moins se projette dans une histoire. Robert est en train de se sĂ©parer de sa femme et reproche Ă  son pĂšre d’avoir, pour finir, tuĂ© sa mĂšre. Bruno a dĂ©libĂ©rĂ©ment choisi la solitude et l’ataraxie ça va de mieux en mieux ! », son pĂšre, quant Ă  lui s’est perdu pendant la guerre ». La jeune caissiĂšre se dit satisfaite de vivre seule avec sa fille, et partage une nuit sans lendemain avec Bruno, lequel ne se sent jamais aussi seul que dans une femme. Un troisiĂšme homme s’invite dans le camion, il porte le manteau ensanglantĂ© d’une femme, la sienne, qui s’est jetĂ©e en voiture contre un arbre, suicide que Robert craint pour sa propre femme. La prĂ©sence des hommes auprĂšs des femmes est pathogĂšne, voire mortelle, et c’est bien le destin de son pĂšre que Robert pourrait alors reproduire, en plus dramatique. Il paraĂźt plus prudent aux hommes de rester entre eux, dans le dĂ©sir permanent d’une femme. Dans le poste frontiĂšre amĂ©ricain, Bruno et Robert, Ă  la lueur des bougies se confient, se provoquent, se battent, admettent vouloir une chose et son contraire, et pour finir, Robert constatera On ne peut pas vivre comme ça sans pouvoir imaginer ou souhaiter aucun changement. » Robert souffle sa bougie, le cadre se divise en deux, Robert d’un cĂŽtĂ©, dans le noir, et Bruno Ă©clairĂ©, de l’autre, signe de l’écart entre eux qui ne sera jamais recouvert, de la rupture qui finira par advenir. Au petit matin, Robert un Ɠil pochĂ©, et Bruno la lĂšvre fendue retournent chacun de leur cĂŽtĂ© Ă  leur solitude. PĂšres sans femme ni enfants, comme les enfants sont privĂ©s de pĂšre et mĂšre il n’y a pas d’adulte, ni autour de la station-service oĂč Robert arrĂȘte sa voiture et Ă©change par signes avec des enfants en train de jouer, ni Ă  la gare oĂč l’ultime rencontre qu’il fera sera celle d’un jeune garçon, occupĂ© Ă  dĂ©crire ce qu’il voit. 12Franchir un seuil l’imprimerie pour Robert et le conflit avec le pĂšre ; la maison de l’enfance pour Bruno et le retour traumatisant des fantĂŽmes, c’est une question d’espace mais aussi de temps. Il s’agit pour l’un comme pour l’autre de revisiter le passĂ© et de l’affronter, pour au petit matin, trouver un peu de paix Bruno sort de sous l’escalier la boĂźte Ă  secrets – affiches de film prĂ©cieusement conservĂ©es dans une boĂźte de pellicule par l’enfant qu’il fut – comme Jeff Mc Cloud retrouvait, sous la maison originaire, les trĂ©sors de son enfance dans The Lusty Men Nicholas Ray, 1952. Dans Nick’s movie 1980, NicholasRay dira Ă  Wenders les raisons de l’attachement de celui-ci Ă  ce film le sentiment, non Ă©prouvĂ© mais dĂ©sirĂ© de l’attachement au foyer, Ă  une terre this film is a western. This film is really a film about people who want to own a home of their own ». MĂȘme traumatisante, l’expĂ©rience du retour Ă  la maison natale sera rĂ©confortante pour Bruno car elle aura tĂ©moignĂ© de quelque chose dont il se croyait dĂ©pourvu un passĂ©. Pour la premiĂšre fois, je me vois comme quelqu’un qui a vĂ©cu un certain temps, et ce temps, c’est mon histoire. » Au plan suivant, Robert vide le contenu de sa valise dans une poubelle au bord de la route il s’agit, malgrĂ© tout, d’en faire table rase, de ne pas se laisser trop aller Ă  cet enracinement, de ne jamais oublier qu’il est, potentiellement, coupable. En effet, si l’appartenance Ă  la terre allemande, et par lĂ , Ă  son Histoire est profondĂ©ment problĂ©matique, c’est parce que les pĂšres sont fondamentalement coupables, coupables d’avoir Ă©tĂ© nazis, comme le vieux projectionniste qui ouvre le film, coupables plus confusĂ©ment, comme le pĂšre de Robert, dont on se demande ce qu’a pu imprimer pendant la guerre cet homme endormi dans son imprimerie sous le portrait de Gutenberg, et Ă  qui son fils reproche dĂšs que je dis quelque chose, j’ai l’impression de le voir imprimĂ© ». Coupable aussi, le vieil homme hagard dans son garage oĂč une guerre semble ne jamais avoir vraiment fini, et qui en a perdu la parole. Coupable enfin, le pĂšre de Bruno perdu pendant la guerre ». 13À dĂ©faut des pĂšres rĂ©els, il s’agit alors de se reconnaĂźtre des pĂšres de substitution Nicholas Ray ou Fritz Lang dont Wenders a pu dire Je l’ai regardĂ© comme un orphelin voit le pĂšre des autres » Wenders citĂ© par Amengual, 1997 288. Ailleurs, c’est F. W. Murnau qui tient le rĂŽle de pĂšre dans l’Etat des choses, pour le cinquantenaire de sa mort, Wenders le ressuscite » en un Friedrich Munro, qui reprend ses propres mots, et en reprenant ses propres mots, identifie le pĂšre au fils – Wenders – je ne suis chez moi nulle part » Wenders, 1990 68 ou encore John Ford, de façon plus discrĂšte dans Alice dans les villes – 1973 – oĂč est fait allusion Ă  Young Mister Lincoln – 1939. Le cinĂ©ma, c’est alors la patrie que Wenders se choisit, Ă  dĂ©faut de se sentir chez lui en Allemagne Je ressens l’histoire du cinĂ©ma comme un lieu trĂšs paisible oĂč il vaut la peine de s’ancrer, on y est bien et en bonne compagnie. » Wenders, 1992 260 La profondeur historique n’est plus dans les lieux ou les ĂȘtres dont nous verrons combien ils la refoulent mais dans le film lui-mĂȘme, qui tĂ©moigne de l’Histoire du cinĂ©ma, une Histoire comme Ă  la premiĂšre personne, en substitution Ă  l’Histoire tout court. 4 Richard Wilson, 1955 14Chacun des deux personnages aura ici son pĂšre de substitution. Nicholas Ray pour Bruno, qui rejoue au petit matin, aprĂšs sa nuit de larmes, la scĂšne du retour Ă  la maison de l’enfance de The Lusty Men. Bruno est tellement entourĂ© de personnages de cinĂ©ma et particuliĂšrement de la figure de Mitchum – affiche de The Gun Man4au fond du camion, par exemple qu’on se demande si ce souvenir n’est pas fabriquĂ©. En d’autres termes si cette boĂźte Ă  secrets, qui contient d’ailleurs des affiches de films, n’est pas une fabrication de cinĂ©ma Ă  savoir que Bruno ne retrouve pas ici un souvenir d’enfance, mais rejoue consciemment le souvenir du personnage du film de Nicholas Ray, comme si la mĂ©moire personnelle Ă©tait refoulĂ©e et substituĂ©e par une mĂ©moire fabriquĂ©e Ă  partir de matĂ©riaux cinĂ©matographiques. Et c’est tout le film qui, peu Ă  peu, substitue Ă  la mĂ©moire des personnages et des lieux, sa propre mĂ©moire, s’affiche comme reconstruction Ă  partir de matĂ©riaux cinĂ©matographiques les dunes blanches sont un dĂ©cor de western, et par lĂ , on peut, comme Robert, en jouir. Et c’est bien la seule fois que le corps se jette ainsi avec jubilation dans le paysage. Le cinĂ©ma expressionniste allemand est totalement claustrophobique. La toile de fond de mes films, elle, vient beaucoup plus du cinĂ©ma que j’ai vu quand j’étais enfant, surtout des westerns, oĂč le soleil brille tout le temps. Avez-vous jamais vu un film allemand des annĂ©es vingt oĂč brille un soleil radieux ? Pour moi, le paysage est tellement liĂ© au cinĂ©ma ! 
 quand je tourne, j’ai l’impression de m’intĂ©resser plus au soleil qui se lĂšve sur un paysage qu’à l’histoire qui s’y dĂ©roule »Wenders, 1990 63. 15Fritz Lang sera le pĂšre de substitution de Robert. Il contemple Ă  deux reprises un carrĂ© de ciel nocturne, Ă  travers le toit du camion, cadre en attente de ce qui va le combler la figure du pĂšre que Robert dĂ©coupe dans une revue suivant le mĂȘme cadre, celle de Fritz Lang dans Le MĂ©pris Jean-Luc Godard, 1963. Dans ce film sur la conscience du cinĂ©ma en Allemagne, le pĂšre perdu, non, le pĂšre manquĂ©, s’est installĂ©, s’est insinuĂ© de lui-mĂȘme » Wenders, 1988 149. Fritz Lang, c’est le pĂšre Allemand qui s’est exilĂ© en AmĂ©rique, pĂšre de substitution de Robert puisque immĂ©diatement aprĂšs avoir prĂ©levĂ© ainsi son visage, il rend visite Ă  son vrai pĂšre. Mais avant, son regard, douloureux, sera passĂ© du visage de Lang au projecteur enchaĂźnĂ© sur une Ă©tagĂšre du camion. Il y a ici une mĂ©taphore manifeste, la question qui taraude, c’est comment ĂȘtre cinĂ©aste en Allemagne, quand le cinĂ©ma a Ă©tĂ© enchaĂźnĂ© », exploitĂ© par l’idĂ©ologie nazie ? Jamais auparavant, dans aucun autre pays, on n’avait comme ici manipulĂ© les images et les sons avec autant de cynisme, jamais et nulle part ils n’avaient Ă©tĂ© Ă  ce point abaissĂ©s au niveau de vĂ©hicules de mensonges. » Wenders, 1988 132 Jamais, alors, n’a Ă©tĂ© aussi grande la mĂ©fiance Ă  l’égard des images que ce pays pouvait par la suite produire, leur prĂ©fĂ©rant les images venues de l’étranger A cause des images [du nazisme] il y a eu dans la culture cinĂ©matographique de ce pays un trou de trente Ă  quarante ans » Wenders, 1988 133. 16Ce dont Au fil du temps tĂ©moigne alors, c’est de la dĂ©liquescence du cinĂ©ma allemand des annĂ©es soixante-dix Bruno projette des films porno ou d’autres, tellement mauvais que Robert lui suggĂšre de laisser une bobine de cĂŽtĂ©. Pour finir ils s’enfuient en laissant la projection en plan. Ce dont Au fil du temps tĂ©moigne, c’est d’un cinĂ©ma 
 qui peut nuire aux hommes en les Ă©loignant de leurs dĂ©sirs et de leurs peurs » Wenders, 1988 117. La jeune gĂ©nĂ©ration n’est pas concernĂ©e les projectionnistes de remplacement n’y connaissent rien, ou amĂ©nagent leur relation, par miroir interposĂ©, avec les images pornographiques. Si Bruno tente d’intĂ©resser l’un d’eux en lui montrant la croix de Malte, cette invention gĂ©niale qui transforme une rotation en translation, force est de constater que la rotation a dĂ©gĂ©nĂ©rĂ© en Ă©ternelle rĂ©pĂ©tition Ă  l’identique c’est l’extrait en boucle qu’il projette Ă  la jeune caissiĂšre – de la violence, de l’action, de la sensualitĂ©. Quatre-vingt-dix minutes de cinĂ©ma » rĂ©pĂštent la voix et les images, comme les produits standardisĂ©s rĂ©pĂštent en boucle la mĂȘme recette. La propriĂ©taire du Weisse Wand attend alors que cela change. Devant le portrait de Fritz Lang, elle dĂ©fend une certaine idĂ©e du cinĂ©ma Le cinĂ©ma est l’art de la vue, disait mon pĂšre. C’est pour ça que je ne peux pas passer ces films qui ne sont que de l’exploitation de tout ce qui est encore exploitable dans la tĂȘte et les yeux. On ne m’obligera pas Ă  passer des films dont les gens sortent paralysĂ©s et abrutis par la bĂȘtise, qui dĂ©truisent leur joie de vivre, qui tuent le sentiment qu’ils ont d’eux-mĂȘmes et du monde. 
 dans l’état actuel, mieux vaut pas de cinĂ©ma, qu’un cinĂ©ma tel qu’il est maintenant.» Si les vitrines sont vides et l’écran blanc, les projecteurs sont maintenus en Ă©tat, pour ĂȘtre prĂȘts lorsque le cinĂ©ma sera redevenu ce qu’il doit ĂȘtre. Et lĂ  aussi, le film s’affiche comme mĂ©moire de sa propre fabrication jouant sur les lettres allumĂ©es et Ă©teintes de l’enseigne – Weisse Wand – le mot End » se compose. Fin du cinĂ©ma et fin de l’Histoire et fin du film qui se sera, jusqu’au bout, affichĂ© comme tel, se clĂŽturant, comme il se doit, sur le mot fin ». 17Le seuil est le lieu oĂč ça change » Desanti, 1999 39, ce pas que Bruno et Robert doivent dĂ©-passer pour pouvoir dire Je suis mon histoire ». Constatons que cette rĂ©plique de Robert survient off, sur l’image du Bibendum Ă©clairĂ©, figure de proue du camion, nous donnant l’étrange impression qu’au fond, dans cette substitution de l’Histoire par l’Histoire du cinĂ©ma, c’est le film lui-mĂȘme qui, ici, parle. Je suis mon histoire », c’est-Ă -dire l’histoire de ma fabrication au fil du temps et de la carte routiĂšre qui lui a servi de scĂ©nario ; fabrication ouverte aux imprĂ©vus, aux accidents, Ă  l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des matĂ©riaux accueillis au grĂ© de sa sĂ©dimentation – sĂ©quence burlesque, documentaire, dĂ©tour vers le Rhin en side-car, montage parallĂšle de trajectoires qui se croisent et se dĂ©croisent en fonction de la route
 18Dans le dossier de presse de L’Ami AmĂ©ricain 1977 Wenders revendique ce film comme politique, au contraire des films de divertissement, qui chassent de la tĂȘte des hommes l’idĂ©e de changement. Leur message rĂ©pĂ©tĂ© Ă  chaque plan est que tout est bien ainsi » Buchka, 1986 99. DĂ©jĂ , nous venons de le voir, Au fil du temps milite pour un changement du cinĂ©ma. Et Ă  la fin du film, Robert laisse un mot sur le pare-brise du camion, Ă  l’attention de Bruno Il faut tout changer. So long. R » C’est devant le poste frontiĂšre sĂ©parant les deux Allemagnes que Robert choisit de laisser son message ce qui doit changer en premier lieu, c’est l’état de cette Allemagne divisĂ©e. Constatons que le mot est notĂ© sur la page de garde du livre qu’il lisait jusque lĂ  et qu’on y lit prĂ©sentation » par Maud Mannoni en l’occurrence, il s’agit de la prĂ©face Ă  l’Enfance aliĂ©nĂ©e. C’est alors comme inspirĂ© par Maud Mannoni que Robert et Wenders ? se sent la force de travailler Ă  ce changement. 19Plus tĂŽt, c’est par une parabole qu’il annonce cette volontĂ© de rupture avec la rĂ©pĂ©tition. Il raconte un rĂȘve Il y a une encre qui pouvait effacer la vieille Ă©criture et en mĂȘme temps Ă©crire quelque chose de nouveau » Mais le problĂšme qui se pose immĂ©diatement Ă  Robert, c’est qu’il n’écrit que des rĂ©pĂ©titions jusqu’à ce qu’en rĂȘve, il ait l’idĂ©e de changer d’encre. Alors, il Ă©crit quelque chose de nouveau. À la fin du film, il rencontre un jeune garçon Ă  la gare, qui Ă©crit ce qu’il voit Je dĂ©cris une gare. Tout ce que je vois les rails, le ballast, l’horaire. Le ciel, les nuages. » C’est aussi simple que cela. Robert lui propose d’échanger contre son cahier d’écolier, sa valise vide son identitĂ© creuse et ses lunettes de soleil son regard aveugle Ă  cette simplicitĂ© dans l’espoir de retrouver cette transparence perdue du rĂ©el. Dans les films, les enfants sont toujours lĂ  pour vous exhorter Ă  ne pas oublier la curiositĂ© et l’absence de prĂ©jugĂ©s avec lesquels on peut rendre le monde visible » Wenders, 1992 64. 5 LaĂ«rte est le pĂšre d’Ulysse 20Rendre le monde visible n’est possible qu’à une condition le dĂ©barrasser des mythes qui en figent l’image, la polluent Le mythe prĂ©tendait informer, dĂ©nommer, narrer les origines mais par lĂ  mĂȘme il prĂ©tendait aussi reprĂ©senter, confirmer, expliquer. Cette tendance s’est accrue lorsque les mythes furent inventoriĂ©s et collectionnĂ©s ; l’information qu’ils apportaient devint une doctrine » Adorno, Horkheimer, 1974 26. L’image n’est plus conçue comme surface mais comme volume, empilement de reprĂ©sentations mythiques qu’il faut dĂ©coller une Ă  une. Adorno et Horkheimer dans La Dialectique de la Raison montrent qu’Ulysse use de sa raison pour dĂ©faire les puissances mythiques par exemple, ce cyclope qui se laisse prendre au nom de Personne » L’opposition entre la Raison et le mythe s'exprime dans l'opposition entre le Je individuel – qui sur­vit – et les multiples aspects de la fatalitĂ©. La course errante de Troie Ă  Ithaque reprĂ©sente l'itinĂ©raire suivi Ă  travers les mythes par un soi physiquement trĂšs faible face aux forces de la nature et qui ne se rĂ©alise lui‑mĂȘme que dans la prise de conscience. 
 Le savoir qui constitue son identitĂ© et qui lui permet de sur­vivre, tire sa substance de l'expĂ©rience qu'il acquiert dans les innombrables tours et dĂ©tours de sa route oĂč il voit bien des choses se dĂ©sagrĂ©ger. » Adorno, Horkheimer, 1974 61 Signalons que la rĂ©fĂ©rence Ă  l’OdyssĂ©e est prĂ©sente dans le cinĂ©ma de Wenders, ne serait-ce que dans le nom de l’ancien nazi de Faux mouvement – Laertes5. 21Au fil du temps est ainsi le lent travail de dĂ©construction des mythes Ă  commencer par le mythe du miracle Ă©conomique. Ce n’est pas la RFA industrialisĂ©e, triomphante, mais un paysage d’usines en ruine, de machines arrĂȘtĂ©es que le film nous prĂ©sente. Et mĂȘme Wolfsburg, avec le sigle de Volkswagen dans le paysage industriel, sigle Ă  demi dissimulĂ© derriĂšre les hautes cheminĂ©es, mĂȘme cette ville, symbole de l’industrialisation radieuse, est curieusement dĂ©sertĂ©e. Robert ramasse un journal, on y lit noch ĂŒber eine Million Arbeitslose », et plus bas Mehr als 4,8 Milliarden Marks Defizit ». C’est la misĂšre Ă©conomique qui pĂšse sur le vieillard aphasique, au regard ravagĂ©, assis au milieu de son garage, qui ne sait plus que rĂ©pondre Ă  Bruno venu chercher de l’eau pour son camion – Bruno qui est bien Ă©tonnĂ© de trouver en ces lieux dĂ©vastĂ©s Ăąme qui vive. MisĂšre Ă©conomique qui s’exprime sur un visage de vieillard que Walker Evans aurait pu, jadis, pendant cette autre grande pĂ©riode de misĂšre, photographier. Il s’agit alors d’opĂ©rer la prestidigitation inverse de celle qu’opĂšre le mythe, et sur le rĂ©el ainsi redĂ©couvert sous le mythe, retrouver l’Histoire Ce que le monde fournit au mythe, c’est un rĂ©el historique, dĂ©fini, si loin qu’il faille remonter, par la façon dont les hommes l’ont produit ou utilisĂ© ; et ce que le mythe restitue, c’est une image naturelle de ce rĂ©el. Et tout comme l’idĂ©ologie bourgeoise se dĂ©finit par la dĂ©fection du nom bourgeois, le mythe est constituĂ© par la dĂ©perdition de la qualitĂ© historique des choses les choses perdent en lui le souvenir de leur fabrication. Le monde entre dans le langage comme un rapport dialectique d’activitĂ©s, d’actes humains il sort du mythe comme un tableau harmonieux d’essences. Une prestidigitation s’est opĂ©rĂ©e, qui a retournĂ© le rĂ©el, l’a vidĂ© d’histoire et l’a rempli de nature ; qui a retirĂ© aux choses leur sens humain de façon Ă  leur faire signifier une insignifiance humaine. La fonction du mythe, c’est d’évacuer le rĂ©el il est, Ă  la lettre, un Ă©coulement incessant, une hĂ©morragie, ou, si l’on prĂ©fĂšre, une Ă©vaporation, bref, une absence sensible » Barthes, 1970 216. La reprĂ©sentation de la RFA comme pays du miracle Ă©conomique est naturelle » elle va de soi. Le travail du cinĂ©aste consiste alors Ă  dĂ©faire cette construction mythologique, et ce, mĂȘme au prix de la solitude, ce prix que ses personnages sont prĂȘts Ă  payer Lorsque le mythe atteint la collectivitĂ© entiĂšre, si l’on veut libĂ©rer le mythe, c’est la communautĂ© entiĂšre dont il faut s’éloigner » Barthes, 1970 231. Si Roland Barthes a pu voir dans le roman des annĂ©es cinquante,une opĂ©ration de sabordage de la littĂ©rature comme mythe littĂ©raire – sabordage pur et simple du discours, le silence, rĂ©el ou transposĂ©, se manifestant comme la seule arme possible Ă  la peur majeure du mythe sa rĂ©currence » Barthes, 1970 208 – nous pouvons voir, de la mĂȘme façon, dans Au fil du temps, le sabordage du cinĂ©ma comme mythe cinĂ©matographique. Ici, pour reprendre le slogan en boucle que Bruno projette Ă  la jeune caissiĂšre, ni action, ni violence, ni sensualitĂ©, mais du hasard, du temps, du silence il faut attendre vingt-sept minutes de silence, ou quasi, avant que Bruno et Robert ne se prĂ©sentent l’un Ă  l’autre. 22L’Allemagne n’est pas ce pays puissant que le mythe du miracle Ă©conomique voudrait nous faire voir. Au grĂ© de leurs pĂ©rĂ©grinations, Robert et Bruno croisent deux villages Machtlos sans pouvoir » et Friedlos sans paix ». VoilĂ  oĂč en est l’Allemagne d’Au Fil du temps. Entre les deux, se tient une montagne, mais ce n’est pas la montagne originelle du mythe germanique elle s’appelle Toder Man l’homme mort ». VoilĂ  oĂč en sont les mythes aprĂšs que Wenders les a arrachĂ©s au rĂ©el. Dans la voiture de Robert, au dĂ©but du film, nous pouvons voir une carte postale un paysage typiquement alpin de cimes enneigĂ©es et de forĂȘt. Wenders est particuliĂšrement fĂ©roce envers cette imagerie, trĂšs liĂ©e Ă  l’idĂ©e de patrie, et qui a ses avatars dans la production de l’époque Heimat Filme comment traduire ? Des films romantiques se dĂ©roulant dans les Alpes » Wenders, 1990 142. 23Pays impuissant qui ne connaĂźt pas la paix, l’Allemagne est un pays occupĂ©, divisĂ© dĂšs le dĂ©but, lorsque Robert lance sa voiture dans l’Elbe, la frontiĂšre avec l’Allemagne de l’Est coupe le fond de l’image, longue balafre grillagĂ©e, parcourue de miradors. La frontiĂšre redouble celle, symbolique, du fleuve. Et Ă  la fin, au petit matin, c’est encore sur elle que le regard bute un panneau Landes-Grenze » prĂ©vient, que de l’autre cĂŽtĂ©, c’est encore l’Allemagne, mais que ce territoire brumeux, indiscernable derriĂšre la frontiĂšre, est interdit. Bruno, dans la couverture qu’il a jetĂ©e, comme l’éternel errant qu’il est, sur ses Ă©paules, se cogne Ă  cette cicatrice, cette frontiĂšre intĂ©rieure qui leur rappelle sans cesse cette culpabilitĂ© dont ils ont hĂ©ritĂ©. Bruno hurle, lance son cri de l’autre cĂŽtĂ©, mais l’apaisement ne viendra pas. La route sur laquelle ils cherchent, dans un pays devenu coupable, leur identitĂ©, a colonisĂ© leur inconscient au moins autant que le rĂȘve de la culture amĂ©ricaine » Buchka, 1986 75. En l’occurrence, les deux phĂ©nomĂšnes sont liĂ©s mĂ©fiante Ă  l’égard de ses deux mille ans de Kultur qui se sont effondrĂ©s dans le nazisme, mĂ©fiante Ă  l’égard de ses images qui ont Ă©tĂ© instrumentalisĂ©es, l’Allemagne de l’aprĂšs-guerre est avide de tout ce qui peut la dĂ©tourner d’elle-mĂȘme, en premier lieu de la culture de l’occupant. Au fil du temps prĂ©sente, en dĂ©collant le mythe du miracle Ă©conomique, un pays occupĂ© militairement. C’est le poste frontiĂšre abandonnĂ© oĂč les deux hĂ©ros Ă©chouent, aux murs couverts de graffitis qui les font rĂȘver Colorado, Texas
 Holyday in » ironise Bruno. Pas tout Ă  fait, rĂ©pond Robert, mais il y a des lits – un foyer possible – et des images – les filles nues des magazines, collĂ©es sur les mur – Foyer et images, c’est tout ce que l’Allemagne demande Ă  son occupant. La prĂ©sence de ce dernier est, elle aussi, exhumĂ©e des couches mythiques si le poste frontiĂšre est dĂ©saffectĂ©, le tĂ©lĂ©phone fonctionne et une voix amĂ©ricaine rĂ©pond, malgrĂ© l’apparente disparition des soldats amĂ©ricains dans les lieux. Les disques de rock que Bruno glisse dans le mange-disque de son camion, la prĂ©sence du cinĂ©ma amĂ©ricain – affiche avec Mitchum, avec son titre traduit en Allemand Gnadenlos ; gestes trĂšs intimes de Bruno retrouvant son enfance hĂ©ritĂ©s d’un film amĂ©ricain –, prĂ©parent ce que Robert met Ă  jour dans le poste frontiĂšre, tout entourĂ©s qu’ils sont en ce lieu de culture et de mots amĂ©ricains les AmĂ©ricains ont colonisĂ© notre subconscient ! » C’est dans le rire qu’il en arrive Ă  cette constatation, aprĂšs qu’une rĂ©plique, par une brusque association d’idĂ©e, eut Ă©chappĂ© Ă  Bruno mean as she can be ». Bruno alors raconte qu’il lui arrive d’avoir un air dans la tĂȘte, pendant des heures, avec des paroles en Anglais, sans qu’il fasse attention aux mots. Et que ces mots peuvent surgir Ă  l’improviste dans les conversations, les disputes. Comme si les mots en Anglais, le maintenaient Ă  distance de lui-mĂȘme. Constatons que Robert est atteint du mĂȘme syndrome plus tĂŽt dans le film, il aura croisĂ© une effigie du Christ privĂ© de sa croix, et lui aura dit double-crossed for the very last time, but now finally free ». Or, ces mots sont la rĂ©miniscence d’une chanson de Bob Dylan Idiot Wind, Wenders jouant des mots entre la croix et la trahison. Constatons qu’au vers suivant, il est encore question d’une frontiĂšre I kissed goodbye the howling beast on the borderline which separate you from me. » Il s’agit toujours de traverser ce qui est visible pour aller chercher dessous la couche que le mythe a recouvert Sans aucun doute toute vie, la vie humaine surtout, est‑elle une espĂšce de transcen­dere, un franchissement du DonnĂ©, mais il est tout aussi indubitable que ce transcendere, qui est concrĂštement utopique, n'implique jamais la transcendance. Celle‑ci serait une fois de plus un DonnĂ© tout fait et spectral, et s'il est absolument certain que la conscience morale de l'utopie concrĂšte ne colle pas de maniĂšre positiviste au Factum de tout ce qui est immĂ©diatement visible, il est encore plus certain qu'elle ne s'Ă©vapore pas dans les nues des pures hypostases de l'invisibilitĂ© mythologique » Bloch, 1991 555. 24Le pare-brise du camion est alors le lieu oĂč se superposent les couches sĂ©dimentaires d’images renvoyant Ă  cette germanitĂ© que le film remet en question cieux torturĂ©s, reflets des forĂȘts, des façades Ă  colombages
 DerriĂšre, dans l’écran large du cinĂ©mascope que le pare-brise dĂ©limite, se tiennent les deux nomades, hĂ©ros d’un road movie renvoyant lĂ  Ă  cette amĂ©ricanitĂ© qui a recouvert les couches infĂ©rieures. L’image n’est plus une surface mais un volume qu’il faut traverser pour remettre Ă  jour ce qui est cachĂ© l’Histoire. En choisissant Berlin comme cadre des Ailes du dĂ©sir 1987, Wenders trouve dans cette ville ce qui partout ailleurs en Allemagne, manque traces, mĂ©moire, profondeur historique Cette histoire est ici physiquement et Ă©motionnellement prĂ©sente, cette histoire qui ne peut ĂȘtre vĂ©cue ailleurs en Allemagne » c’est-Ă -dire dans la RĂ©publique FĂ©dĂ©rale, que comme dĂ©nĂ©gation ou absence, autrement dit qui ne peut ĂȘtre que manquĂ©e » Wenders, 1990 118. Il s’agit alors de dĂ©coller une Ă  une ces couches d’amnĂ©sie de la surface de ces paysages blafards qui portent les traces du crime Ă  Ostheim, la ville du pĂšre de Robert, une façade est criblĂ©e d’impacts, et c’est cette façade que Wenders met au centre du cadre. Il s’agit de traverser l’image pour en dĂ©coller l’amnĂ©sie qui la recouvre et mettre Ă  jour les fantĂŽmes ou les dĂ©mons que l’Allemagne a prĂ©fĂ©rĂ© refouler le vieux projectionniste au dĂ©but du film avoue avoir Ă©tĂ© nazi, et confond les initiales du SPD et celles du parti nazi. D’ailleurs, il n’est plus trĂšs sĂ»r du nom. Guerre froide oblige, d’anciens nazis retrouvent leur place dans cette sociĂ©tĂ© amnĂ©sique. La rĂ©cupĂ©ration kitsch est un autre moyen de refoulement la jeune caissiĂšre a gagnĂ© Ă  la foire une bougie Ă  l’effigie de Hitler, et Bruno, par dĂ©rision, allume sa cigarette au feu du FĂŒhrer ». La dĂ©marche de Wenders est alors un vĂ©ritable travail sur la mĂ©moire J’étais moins attirĂ© par l’étranger que repoussĂ© par le monde familier. Le monde familier, c’était ce vide 
 une singuliĂšre exclusion du passĂ©. On ne peut faire croire Ă  un enfant qu’il est impossible de regarder derriĂšre lui. Pourtant, j’ai grandi avec le sentiment qu’il ne fallait pas regarder en arriĂšre. DerriĂšre nous, il y avait un trou noir et tout le monde n’avait le regard tendu que vers l’avant, occupĂ© Ă  la reconstruction », en train de travailler au miracle », et ce miracle Ă©conomique, je pense, n’a Ă©tĂ© possible au fond que grĂące Ă  un incroyable travail de refoulement. Cette fantastique performance n’était pas le nouveau phĂ©nix c’était de faire oublier les cendres dont il s’élevait » Wenders, 1992 221. L’omniprĂ©sence rythmique, visuelle et sonore des trains est particuliĂšrement appuyĂ©e et ne peut pas ne pas faire penser aux trains qui sillonnĂšrent ce territoire, trente ans plus tĂŽt. La prĂ©sence des trains est trĂšs insistante dans la scĂšne au bord du Rhin, ne cessant de surgir, par le son, le long de cette nuit oĂč l’enfance – et l’absence de ce pĂšre perdu pendant la guerre » – torture Bruno. L’un se recroqueville sur sa douleur et laisse couler ses larmes, l’autre, Robert, se couche Ă  mĂȘme le sable, sous les arbres, comme s’il fallait rĂ©gresser Ă  un stade antĂ©rieur de l’humanitĂ© pour dĂ©passer cette culpabilitĂ© que les trains, roulant et sifflant bruyamment dans la nuit, ne cessent d’activer. La maison est entourĂ©e d’arbres, retour du mythe germanique de la forĂȘt dont on nous prĂ©vient dĂ©jĂ , qu’il a Ă©tĂ© contaminĂ©. Au petit matin, c’est encore un train qui accompagne l’ouverture en fondu sur le paysage les bras du Rhin avec l’üle boisĂ©e, au centre. Mais au plan suivant, c’est le mythe qui, de nouveau, est mis Ă  mal le Rhin mythique est un lieu invivable, envahi de machines bruyantes. Quel boucan ! » s’exclame Bruno. On creuse le chenal » lui rĂ©pond tranquillement Robert, achevant, par la trivialitĂ© de l’image, la dĂ©gradation du mythe. Nous avons remarquĂ© que chacun des personnages traverse une frontiĂšre symbolique le passage Ă  niveau pour Robert, le fleuve pour Bruno. Soit les trains et le Rhin, mĂ©moire du nazisme et mythe fondateur qu’il s’agit de confronter. 25Le traitement qu’il choisit pour les corps et la nuditĂ© est l’antithĂšse de ce que les images nazies proposaient. La nuditĂ© est en effet, dans le film, assez insistante Bruno se prĂ©sente Ă  nous, nu, se dĂ©culotte pour dĂ©fĂ©quer dans la blancheur des dunes, et reste nu sous sa salopette, les trois quarts du film. Au dĂ©but, Robert n’a qu’un pantalon pour tout vĂȘtement, sous prĂ©texte que sa chemise et sa veste sont mouillĂ©es. Mais ce n’est pas la nuditĂ© des corps triomphants que le film expose, mais au contraire leur prĂ©caritĂ© les vĂȘtements et les corps se salissent au fil du temps, les barbes poussent d’ailleurs, les vellĂ©itĂ©s de rasage de Bruno sont immanquablement dĂ©couragĂ©es blaireau et tasse tombent du rebord du camion. Le seul bain, c’est celui de Robert dans l’Elbe, dont l’odeur de vase qui restera accrochĂ©e Ă  ses vĂȘtements le fera vomir. Il y a lĂ  un sabotage de l’hygiĂ©nisme national socialiste, qu’on retrouve aussi, par exemple, dans les baignoires de Beuys. 26Les mythes germaniques fondateurs – nous venons de voir ce qu’il en Ă©tait du Rhin – sont une de ces nombreuses couches qu’il faut interroger. Ces mythes ont Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©s par les nazis, comme le montre par exemple cette citation de Ernst Schindler, professeur Ă  l’universitĂ© de Munich en 1936 L’art est le guide, celui qui guide et accompagne notre vie. Il nous montre, sous la forme du mythe, d’oĂč nous venons et oĂč nous allons. » Michaud, 1996 177 Le culte des mythes fondateurs est une donnĂ©e capitale de la germanolĂątrie » Ă  laquelle Andreas Heusler, notamment, va contribuer et Ă  laquelle un autre linguiste – Jean Fourquet – va s’opposer, montrant par exemple que le Nibelungen Lied est une adaptation de romans courtois, une réécriture Ă  partir d’emprunts Ă©trangers Fourquet, 1979. AccaparĂ©s par l’idĂ©ologie nazie, les mythes fondateurs se sont, pour ainsi dire, brisĂ©s dans l’Histoire et furent aprĂšs-guerre l’objet d’un refoulement les mythes n’étaient plus enseignĂ©s. Choix fut fait de l’amnĂ©sie, et c’est cette couche d’amnĂ©sie que le film soulĂšve les Nibelungen est un des films prĂ©fĂ©rĂ©s du vieux projectionniste qui fut nazi. Hommage, certes, Ă  Fritz Lang, mais Ă©galement signe de l’affinitĂ© de l’idĂ©ologie nazie avec le mythe. De mĂȘme, une des affiches de films que Bruno dĂ©couvre sous l’escalier de la maison de son enfance est celle de Siegfried. LĂ  encore, il s’agit de dĂ©coller une Ă  une les strates qui collent sur l’image. J’étais une proie facile pour ces mythes amĂ©ricains, moi qui vivais dans un pays sans mythe, un pays qui se prĂ©sentait Ă  moi comme sans histoire et sans histoires » Wenders, 1992 223. 27De ce point de vue, la dĂ©marche de Wim Wenders est au voisinage de celle d’un autre artiste allemand Anselm Kiefer. NĂ©s la mĂȘme annĂ©e – 1945 – ils ont un rapport trĂšs proche Ă  la mĂ©moire. Ainsi, ce que Daniel Arasse dit d’Anselm Kiefer pourrait trĂšs bien se rapporter Ă  Wim Wenders Luttant contre l’amnĂ©sie collective qui suit la fin d’une guerre dont il ne peut avoir lui-mĂȘme, d’autre mĂ©moire que celle dĂ©jĂ  constituĂ©e par les rĂ©cits, les images et les lieux portant la marque d’une dĂ©vastation passĂ©e 
 il utilise ces traces et cette histoire allemande comme un matĂ©riau 
. Mais en les associant aux souvenirs de l’ancienne mythologie germanique, il suggĂšre la continuitĂ© qui relie le mythe et l’histoire, et la tragique, terrible perte de sens qui les affecte. » Arasse, 2006 68 L’un et l’autre ont d’ailleurs proposĂ©, Ă  deux ans d’intervalle, de donner forme Ă  l’Ange de l’Histoire inspirĂ© Ă  Benjamin par un tableau de Klee Son visage est tournĂ© vers le passĂ©. LĂ  oĂč Ă  notre regard Ă  nous semble s’échelonner une suite d’évĂ©nements, il n’y [en] a qu’un seul qui s’offre Ă  ses regards Ă  lui une catastrophe sans modulation ni trĂȘve, amoncelant les dĂ©combres et les projetant Ă©ternellement devant ses pieds. L’Ange voudrait bien se pencher sur ce dĂ©sastre, panser les blessures et ressusciter les morts. Mais une tempĂȘte s’est levĂ©e, venant du Paradis 
 Nous donnons nom de ProgrĂšs Ă  cette tempĂȘte » Benjamin, 1991 438. Chez Wenders, l’Ange de l’Histoire s’incarne dans la figure de l’Ange des Ailes du dĂ©sir 1987, chez Kiefer 1989 dans celle d’un bombardier avec des livres en plomb sur les ailes. Chez l’un et l’autre, il s’agit de faire surgir une mĂ©moire occultĂ©e, de frayer, comme l’écrit Arasse la voie aux images inattendues d’anciens souvenirs » Arasse, 2001 75. La question est de savoir que doit-on exhumer de l’amnĂ©sie collective, comment faire travailler la mĂ©moire ? Quels souvenirs, quelles notions faire entrer dans la mĂ©moire ? C’est-Ă -dire en particulier pour un Allemand nĂ© en 1945 
 comment se reprĂ©senter le nazisme et sa relation avec le passĂ© allemand plus lointain dont il se rĂ©clamait » Arasse, 2001 81. Nous avons notĂ© la prĂ©sence des trains dans Au fil du temps. Nous la constatons aussi dans les Ɠuvres de Kiefer, notamment ces rails de chemins de fer qui rayent le paysage et renvoient aux mythes, par l’inscription du nom du tableau, sur sa surface mĂȘme par exemple, le difficile chemin de Siegfried vers Brunhilde ». La prĂ©sence des mythes fondateurs est discrĂšte dans Au fil du temps Ă©vocation des Nibelungen, dĂ©tour vers le Rhin
 En revanche, les mythes contemporains miracle Ă©conomique, rĂȘve amĂ©ricain en sont au cƓur. Chez Kiefer, la prĂ©sence des mythes fondateurs est beaucoup plus explicite Kiefer n’illustre pas les mythes qu’il reprĂ©sente ; il les convoque pour confronter le mythe et l’histoire et constater que, dans le cas de l’Allemagne tout au moins, le mythe s’est effondrĂ© dans l’histoire dĂšs lors qu’il a Ă©tĂ© appelĂ© Ă  y agir » Arasse, 2001 138. 28La parentĂ© des deux artistes est trĂšs proche pour ce qui concerne leur travail sur le paysage. Il s’agit de revisiter une tradition picturale typiquement allemande, dĂ©valorisĂ©e lĂ  aussi car rĂ©cupĂ©rĂ©e par l’idĂ©ologie nazie. Et en la revisitant, de dĂ©monter un mythe celui du sol. Constatons que Robert s’appelle Lander. Nous avons remarquĂ© la carte postale dans sa voiture, au dĂ©but du film, archĂ©type du paysage alpin. LĂ  est la reprĂ©sentation du mythe, le film propose son parfait contraire cieux blancs, vides et sans relief, paysages neutres d’une Allemagne dĂ©sertĂ©e de ses habitants. Les paysages nocturnes ne sont pas plus romantiques masses de brume vaguement Ă©clairĂ©es par les phares, terre lourde aux vagues sillons, horizon barrĂ©. À cause de l’Histoire, ces paysages sont horribles. » Wenders citĂ© par Amengual, 1997 294 Quant aux villes, elles ont l’air, au mieux, de carton-pĂąte, avec leurs façades Ă  colombages, trĂšs dĂ©coupĂ©es, et leurs toits, trĂšs pointus Roland Barthes montre combien le mythe dĂ©coupe et ne retient qu’un dĂ©tail, ici, c’est la germanitĂ© qui s’exprime dans la dĂ©coupe des façades et la pointe des toits. Handke remarque que ces villes sont celles de Goethe, et c’est cette apparente continuitĂ© que Wenders dĂ©construit je n’ai jamais su accepter une culture qui devait sauter par-dessus une partie du passĂ©. Tout ce qu’on regarde date du XIX° siĂšcle. » Wenders citĂ© par Amengual, 1997 290 Sur les paysages dĂ©sertĂ©s de Kiefer, sur les labours – les mĂȘmes que dans l’iconographie nazie – ruisselle du sang. Plus que de paysages » Ă  proprement parler, il s’agit de fonds dĂ©solĂ©s ou angoissants, qui donnent figure Ă  l’idĂ©e du Land, de la Terre allemande devant laquelle il convoque l’histoire et les mythes pour les mettre Ă  l’épreuve de ce qu’on pourrait appeler, aprĂšs Nietzsche, le tribunal de sa mĂ©moire » Arasse, 2001 138. Chez Kiefer, comme chez Wenders, la question qui s’offre Ă  nous est qu’est-ce qui est tissĂ© dans le paysage ? Chez Kiefer, c’est par le jeu de l’épaisseur qu’il nous interroge. Chez Wenders, par celui du temps, de cette surface indiffĂ©renciĂ©e, qu’on ne peut investir, si ce n’est en dĂ©collant couche aprĂšs couche les strates temporelles sĂ©dimentaires. Comme chez Kiefer, l’image est alors un volume qu’il nous faut traverser. C’est la scĂšne de théùtre d’ombre que Bruno et Robert improvisent pour les enfants impatients, oĂč de part et d’autre de la surface de l’écran, dialoguent les corps et les ombres, le devant et le derriĂšre, le tout Ă  la façon non pas du cinĂ©ma muet allemand, mais amĂ©ricain, c’est-Ă -dire ici, le burlesque. L’image est un volume nous avons vu comment les couches se superposent sur la surface du pare-brise, comment des images plus anciennes sont convoquĂ©es sous les images apparentes mais un volume qui se dĂ©veloppe suivant une Ă©paisseur temporelle au fil du temps, de l’Histoire, et de l’Histoire du cinĂ©ma. Il y a ici, dans le recours au cinĂ©ma des premiers temps et mĂȘme du théùtre d’ombre qui l’a prĂ©cĂ©dĂ© une volontĂ© de faire table rase. Retour aux origines que Kiefer manifeste Ă©galement – de mĂȘme que le mode de fabrication laissant la part belle au hasard et aux accidents que nous avons relevĂ© plus tĂŽt Le caractĂšre Ă  premiĂšre vue hĂ©tĂ©roclite de ses composants donne l’impression que l’assemblage a laissĂ© place au hasard, Ă  l’accident, Ă  l’imprĂ©vu, survenus et exploitĂ©s au cours de la fabrication 
 Cette absence, affichĂ©e et dĂ©cidĂ©e, du savoir-faire de l’école donne le sentiment d’un retour aux sources – et aux questions que l’art pose au moment mĂȘme oĂč il donne figure au monde » Arasse, 2006 75. Ce n’est pas pour rien qu’Au fil du temps nous prĂ©sente en parallĂšle les deux protagonistes Bruno rĂ©gressant au stade de l’imprimerie, et Bruno Ă  celui du cinĂ©ma des origines il colle, assemble des bouts de pellicule qui se sont dĂ©versĂ©s sur le sol de la cabine de projection. 29Georges Didi-Huberman montre combien l’image nous concerne, nous regarde » dĂšs lors que nous ne pouvons plus l’envisager comme simple surface Il n’y a peut-ĂȘtre d’image Ă  penser radicalement qu’au-delĂ  du principe de surface. L’épaisseur, la profondeur, la brĂšche, le seuil, et l’habitacle. Tout cela obsĂšde l’image, tout cela exige que nous regardions la question du volume comme une question essentielle » Didi-Huberman, 1992 61. Passer Ă  travers le volume de l’image renvoie alors ici Ă  cette autre traversĂ©e celle de l’identitĂ©. Selon Peter Buchka, la patrie est, dĂšs le dĂ©but, chez Wenders, un concept dialectique, qui dĂ©signe dans la mĂȘme mesure un lieu que l’on dĂ©sire et un lieu qui effraie » Buchka, 1986 43. Cette patrie dĂ©valuĂ©e maintient les protagonistes en oscillation entre deux Ă©tats indĂ©cidables, la quĂȘte identitaire sera alors menĂ©e sans recours Ă  la patrie Etre Ă©tranger est pour moi rien d’autre que l’accĂšs direct au concept d’identitĂ©. L’identitĂ© n’est pas quelque chose que l’on possĂšde dĂ©jĂ . On doit passer Ă  travers les choses pour l’obtenir » Wenders citĂ© par Amengual, 1997 290. Et passer Ă  travers les choses, c’est passer Ă  travers l’image, passer Ă  travers le paysage, y ouvrir une brĂšche. L’attirance de Wenders pour le cinĂ©ma amĂ©ricain tient selon lui, au fait que Dans leurs images se dĂ©ployait une surface qui n’était jamais que ce qu’on pouvait y voir » Wenders, 1988 44. Le rejet que provoque le paysage allemand, c’est qu’il y a lĂ  toujours plus que le visible des strates et des strates de culpabilitĂ© que le mythe, et c’est sa fonction, a recouvert. Comme l’écrit Barthes Cette Ă©vaporation miraculeuse de l’histoire est une autre forme d’un concept commun Ă  la plupart des mythes bourgeois lirresponsabilitĂ© de l’homme » Barthes, 1970 225. Le mythe innocente, le cinĂ©ma de Wenders cherche Ă  remettre Ă  jour la culpabilitĂ© sous la couche d’innocence. À la fin du film, nous assistons ainsi Ă  une vĂ©ritable ouverture cinĂ©matographique du paysage. Robert et Bruno se sont sĂ©parĂ©s, l’un est en train, l’autre en camion, leurs trajectoires croisĂ©es ouvrent le paysage de part en part, le lacĂ©rant pour en dĂ©coller les mythes anciens ou modernes qui le dissimulent Le besoin d’oublier vingt annĂ©es, le sentiment de la faute, a fait comme un trou et on a tentĂ© de le recouvrir 
 en assimilant la culture amĂ©ricaine. Nous l’avons recouvert avec le chewing-gum et avec les photos polaroĂŻd » Wenders citĂ© par Amengual, 1997 290. 30C’est cette brĂšche qu’il faut rouvrir, et pour atteindre cette brĂšche, traverser le visible, le DonnĂ©, sans le prendre pour ce qu’il est, et c’est le prix de l’utopie, lĂ  oĂč l’Homme peut encore espĂ©rer se constituer lui-mĂȘme Or, la racine de l'histoire c'est l'homme qui travaille, qui crĂ©e, qui transforme et dĂ©passe le DonnĂ©. DĂšs qu'il se sera saisi et qu'il fondera ce qui est sien dans une dĂ©mocratie rĂ©elle, sans dessaisissement et sans aliĂ©nation, naĂźtra dans le monde quelque chose qui nous apparaĂźt Ă  tous dans l'en­fance et oĂč personne encore n'a jamais Ă©tĂ© le Foyer Heimat » Bloch, 1991 559.
Vousapprendrez à me connaitre au gré de mes humeurs, de mes découvertes, de mes rencontres, à travers les morceaux choisis de ma mémoire ou d'ailleurs que je coucherai sur mon écran au fil des jours. Pourquoi j'ai choisi d'écrire ? pour faire prendre l'air à mes idées. Comme avec le train, l'avion, le bus, ou encore le livre, la musique ou le bon vin
Trajectoires– Au fil du temps, au grĂ© du lieu. 6.99 € – 13.90 €. En filigrane de ce rĂ©cit autobiographique, il y a comme une mĂ©ditation un brin nostalgique sur le temps, surtout DerriĂšrela rose, un cardĂšre (chardon) sauvage ou cardĂšre Ă  foulon, appelĂ© aussi cabaret des oiseaux car la structure de sa tige et de ses feuilles lui permet de rĂ©colter l'eau de pluie et de servir d'abreuvoir aux oiseaux.
LieuxabandonnĂ©s. La Haute-Provence au fil du temps ; Le bois dans tous ses Ă©tats en haute Provence du XVe au XXe siĂšcle ; La Haute Provence au grĂ© du temps; Les visites pastorales de et 1685 de l'Ă©vĂȘque François Letellier en son diocĂšse de Digne (Haute Provence) La Grande Guerre des Bas-Alpins
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REPLAY- Françoise Héritier publie "Au gré des jours", une suite de son livre "Le sel de la vie", qui s'intéressait au petit plaisir du quotidien. Françoise Héritier. Les livres ont la 5W1bNE.
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